Editorial CGSP Enseignement

Enseigner ou le plaisir du risque[1]

Une journée d’hommage à Dominique Bernard, enseignant tué à Arras, et à Samuel Paty, professeur assassiné il y a trois ans, s’est déroulée le lundi 16 octobre 2023 dans tous les établissements scolaires de France.

Les enseignants en Belgique comme en France sont en première ligne. D’abord, parce que leurs programmes résonnent souvent avec l’actualité. Ensuite parce que des sujets sensibles à aborder par les enseignants font l’objet de remises en question et rejets parce qu’ils entrent en confrontation avec les croyances des élèves. Une enquête du Centre d'Action Laïque menée au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) intitulée « Les difficultés d'aborder certains sujets en classe - constats, difficultés et bonnes pratiques du terrain » a révélé que 40 % des enseignants interrogés avouent avoir déjà renoncé à aborder un sujet ou décidé d'en limiter le champ de réflexion pour éviter toute complication ultérieure.

Le jeune a le droit d’être éduqué selon les principes mêmes de notre démocratie. Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation, de s’y opposer. Les faits historiques, les vérités scientifiques, les avancées éthiques, l’évolutionnisme, l'homosexualité et la légitimité de la femme comme figure d'autorité sont des sujets sensibles à aborder par les enseignants. Afin d’arriver sereinement à cet objectif, la CGSP Enseignement continuera à réclamer deux heures de cours de philosophie et de citoyenneté pour tous les élèves de la 1ère primaire à la 6e secondaire.

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Mais même en faisant abstraction de ces deux drames (l’assassinat d’un enseignant reste heureusement un fait extrêmement rare), l’exercice du métier d’enseignant en FWB a été profondément marqué par des changements significatifs au fil des décennies.

La violence qui gangrène nos écoles est devenue un véritable fléau. Qu’elle émane des élèves (entre eux ou vis-à-vis des enseignants) ou des parents qui ne supportent même plus une remarque au bic rouge dans le journal de classe. Le temps où l’enseignant était respecté et remercié semble bien révolu. Face à cette situation, il est urgent d'agir.

Et ce n’est pas la modification décrétale proposée par la ministre Bénédicte Linard qui va améliorer les choses. Cette modification des statuts a été votée par le gouvernement sans qu’il y ait eu consultation préalable des organisations syndicales, ni des fédérations de pouvoirs organisateurs. Une première depuis 54 ans ! Ce texte vise l’interdiction de toutes violences physiques, psychiques et verbales vis-à-vis des élèves. Le décret ne prévoit toutefois pas de liste exhaustive des actes interdits. Un mauvais bulletin sera-t-il considéré comme une violence psychique vis-à-vis de l’élève ? La CGSP Enseignement demande que des éclaircissements soient apportés quant à la portée de ces modifications.

Si une profession a longtemps paru protégée : à l’abri du chômage, entourée de privilèges jalousés (ah, les grandes vacances !...), c'était bien celle d’enseignant. Mais, aujourd'hui, elle rebute plus qu'elle n'attire.

Face à des groupes classe de plus en plus hétérogènes, que faire ? Mettre l'accent sur la socialisation d'enfants livrés à eux-mêmes ou considérer que la vocation première de l'enseignant reste la transmission des savoirs. Confrontés à des conditions de travail de plus en plus pénibles, à des actes de violences morales, institutionnelles voire physiques, les professeurs souffrent et le métier n'attire plus.

Mais alors quelles sont les raisons pour lesquelles les enseignants ont décidé d’exercer ce métier ? Une grande majorité indique que le fait de transmettre des connaissances a été un élément déterminant dans leur décision de se tourner vers la profession ; ils citent également le fait de travailler avec des jeunes et des enfants. Le métier d’enseignant semble encore bénéficier d’attraits qualitatifs qu’il ne s’agirait pas de saborder. La fierté de transmettre, de voir encore des élèves réussir suffira-t-elle à éviter l’hémorragie des démissions ?

Des solutions existent. Voilà des années que nos demandes sont répétées, ressassées. Il semble que les gouvernements respectifs soient atteints de surdité profonde. La CGSP Enseignement exige notamment une rémunération des enseignants du tronc commun adaptée à la réforme de la formation initiale, pour qu’à terme, l’ensemble des enseignants en FWB bénéficient d’un barème universitaire. Elle demande également une véritable aide structurelle pour le jeune enseignant en début de carrière et ce sans qu’il soit menacé par un système d’évaluation l’empêchant de s’épanouir dans son métier et le poussant vers la sortie.

Continuons à nous battre au sein de la CGSP Enseignement pour que le métier d’enseignant redevienne attractif et que nous puissions l’exercer dans des conditions décentes.

[1] Titre emprunté à l’ouvrage de Georges Jean, essayiste et poète français